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Rénovation du bâti

Réseaux de chaleur et de froid

Production d’énergies renouvelables

Fournisseur national de gaz vert et naturel

Gestionnaire du réseau de distribution de gaz

Avis d’expert

Portrait de Christian de Perthuis

Bordeaux Métropole Énergies a souhaité donner la parole à un expert pour aborder des sujets d’actualité sur des questions que beaucoup se posent en ce moment.
Christian de Perthuis (CDP), économiste du climat, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, a accepté de répondre aux questions de Bordeaux Métropole Énergies (BME).

BME : Monsieur de Perthuis, que recouvre la sobriété énergétique et à qui s’adresse-t-elle ?

CDP : En premier lieu, il convient de faire la différence entre deux notions qui sont parfois confondues, à savoir la sobriété et l’efficacité énergétiques. L’efficacité d’un logement par exemple, c’est la qualité de l’enveloppe thermique, de son isolation et de son système de chauffage. Pour une même température de consigne, un logement « efficace » consomme beaucoup moins qu’un logement ne possédant pas ces atouts. Améliorer l’efficacité du parc de bâtiments par une meilleur isolation thermique prend du temps : rien que pour le logement, on compte plus de 30 millions de bâtiments !

La sobriété énergétique renvoie à la notion du mode d’usage des bâtiments par leurs utilisateurs. Si je chauffe à 19° ou à 22°, ma consommation sera très différente. De même, il convient de bien fermer ses fenêtres !
Ces deux notions d’efficacité et de sobriété s’appliquent de la même façon, à la mobilité, voiture ou autre, en fonction des qualités intrinsèques du véhicule et du mode de conduite adoptée par son chauffeur.

Si l’on ramenait d’un coup le chauffage de tous les bâtiments à 19°C, le gain d’énergie consommée approcherait les 25 % ! Mais la norme des 19°C introduite dans l’arsenal réglementaire en décembre 1974, n’est pas toujours facile à respecter. Par exemple, j’ai longtemps fait mes cours à l’université au 5ème étage. En l’absence de dispositif de régulation, j’étais obligé d’ouvrir la fenêtre dès qu’il commençait à faire froid à l’extérieur. Mais si le gestionnaire de l’immeuble baissait le thermostat, mes collègues au rez-de-chaussée devaient affronter des températures hivernales.
Heureusement, les bâtiments sont en cours de rénovation !

En matière de sobriété, des questions très importantes concernant le moyen terme ne sont pas suffisamment posée par le gouvernement.
Le risque est donc que, passé l’hiver, les efforts demandés soient abandonnés, alors que la lutte contre le réchauffement climatique exige de construire une véritable économie de la sobriété dans la durée. Tous les scénarios existants de décarbonation à horizon 2050 passent par la sobriété énergétique. C’est le cas des scénarios monde réalisés par l’Agence Internationale de l’Énergie. Dans le cas de la France, ils montrent qu’il faut réduire notre consommation finale d’énergie de moitié d’ici 2050 pour viser la neutralité carbone.

Revenons à l’exemple du logement. La quantité d’énergie que nous utilisons pour nous chauffer n’est pas uniquement liée à la température. Elle dépend aussi de la surface à chauffer. De quelle surface avons-nous besoin pour travailler et pour vivre ? Une thèse réalisée par un doctorant à la chaire Économie du climat apporte des informations précieuses sur le sujet : depuis 1960, le premier paramètre ayant participé à la hausse des émissions de CO2 dans le logement est l’augmentation du nombre de mètres carrés par habitant. Cela entraîne bien d’autres questions comme l’inégalité d’accès au logement par exemple.
Pour moi, la sobriété énergétique ne s’arrête pas à – comment allons-nous passer l’hiver prochain – mais plutôt à – comment pouvons nous intégrer de la sobriété énergétique à plus ou moins long terme ? Et là, la question de la répartition des efforts à faire et de l’équité entre ceux qui disposent de trop de surfaces et ceux qui n’ont pas accès à un logement décent se pose avec acuité. Pour basculer durablement vers la sobriété, nos sociétés doivent se poser la question de l’équité dans la répartition des efforts à entreprendre. Il faut travailler en profondeur sur l’accès à l’énergie et aux services énergétiques et les conditions d’une répartition plus équitable qui permette d’inscrire la sobriété dans un projet de société.

BME : Quelle est votre analyse de la montée actuelle des prix de l’énergie ?

CDP : Il est important de bien distinguer ce qui se passe sur le marché de l’électricité et sur celui du gaz. Pour le gaz, la remontée des prix est directement liée au conflit en Ukraine et à la rupture des approvisionnements russes.
C’est la raison pour laquelle le prix du gaz en Europe est bien plus élevé qu’en Amérique du Nord et même qu’en Asie. Tant que la guerre perdure et que les approvisionnements sont réduits, le prix du gaz, européen va rester tendu. Les niveaux actuels de crise n’étant supportables ni pour les industriels ni pour les ménages, des mécanismes correcteurs doivent être introduits à court terme.

Pour l’électricité, le marché européen fait face d’une part à l’envolée des prix du gaz et du charbon qui alimentent les centrales thermiques et d’autre-part au niveau historiquement bas de l’utilisation des moyens de  production nucléaire en France. Ce second paramètre explique que la hausse des prix de gros ait été plus forte que dans les autres pays européens. J’ajoute que la France paye également le prix des retards ahurissants qui ont obéré le développement des énergies renouvelables électriques. Si l’on regarde au niveau de l’Union Européenne, elle est le pays le plus en retard par rapport à ses objectifs.

L’envolée des prix de gros de l’électricité pose la question du fonctionnement du marché européen qui s’avère incapable d’absorber ces chocs. Elle se posait déjà avant le déclenchement de la guerre, avec notamment l’apparition de prix de gros négatifs à certaines périodes, un autre symptôme de sa volatilité excessive. La vérité est que ce marché, qui repose sur la tarification au coût marginal, permet de gérer avec efficacité la distribution à très court terme de l’électricité sur le réseau. Mais il ne donne pas aux acteurs ,économiques, vendeurs ou acheteurs, de signaux permettant de faire les bons choix à moyen ou long terme. Il faut donc réformer ce marché. De quelle façon ? Trois voies me semblent possibles :

• revenir à la situation antérieure, avec la cohabitation de monopoles publics nationaux qui produisent et distribuent l’électricité et s’organisent pour gérer au mieux les interconnexions. Ce n’est de mon point de vue ni souhaitable, ni efficace ;

la solution de type « rustine », à l’instar de ce que font l’Espagne et le Portugal, en
introduisant un prix plancher et un prix plafond pour l’énergie. Tant que le marché reste dans la fourchette, on ne fait rien. En cas de crise, on bloque. Une rustine permet de continuer son chemin en cas de crevaison. C’est extrêmement utile. Mais en cas de crevaisons à répétition, il faut peut-être envisager des réparations plus durables ;

• c’est la voie de la troisième solution, consistant à réformer le marché électrique pour qu’il fonctionne demain sur la base d’une tarification au coût de production moyen plutôt qu’au seul coût marginal. Il faut dès lors intégrer les coûts variables, les coûts d’investissement et les coûts du capital. Cette dernière solution est à mon avis la meilleure, même si elle est techniquement la plus compliquée à mettre en œuvre.
Pour conclure, j’ajouterai que la crise énergétique a des effets contrastés sur la transition bas-carbone. En impulsant les économies d’énergie et en dopant les énergies renouvelables, elle est un facteur d’accélération. Mais simultanément elle mobilise beaucoup de capitaux vers des investissements supplémentaires pour développer de nouvelles filières d’approvisionnement en gaz d’origine fossile, voire en charbon. 

Souhaitons que les impacts positifs se consolident et qu’on parvienne à vite réduire ceux qui retardent la nécessaire sortie ;de notre addiction aux énergies fossiles.

BME : Merci Christian de Perthuis, pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur vos activités, nous les invitons à visiter votre site Internet :

https://christiandeperthuis.fr/