BME : Quelle est votre analyse de la montée actuelle des prix de l’énergie ?
CDP : Il est important de bien distinguer ce qui se passe sur le marché de l’électricité et sur celui du gaz. Pour le gaz, la remontée des prix est directement liée au conflit en Ukraine et à la rupture des approvisionnements russes.
C’est la raison pour laquelle le prix du gaz en Europe est bien plus élevé qu’en Amérique du Nord et même qu’en Asie. Tant que la guerre perdure et que les approvisionnements sont réduits, le prix du gaz, européen va rester tendu. Les niveaux actuels de crise n’étant supportables ni pour les industriels ni pour les ménages, des mécanismes correcteurs doivent être introduits à court terme.
Pour l’électricité, le marché européen fait face d’une part à l’envolée des prix du gaz et du charbon qui alimentent les centrales thermiques et d’autre-part au niveau historiquement bas de l’utilisation des moyens de production nucléaire en France. Ce second paramètre explique que la hausse des prix de gros ait été plus forte que dans les autres pays européens. J’ajoute que la France paye également le prix des retards ahurissants qui ont obéré le développement des énergies renouvelables électriques. Si l’on regarde au niveau de l’Union Européenne, elle est le pays le plus en retard par rapport à ses objectifs.
L’envolée des prix de gros de l’électricité pose la question du fonctionnement du marché européen qui s’avère incapable d’absorber ces chocs. Elle se posait déjà avant le déclenchement de la guerre, avec notamment l’apparition de prix de gros négatifs à certaines périodes, un autre symptôme de sa volatilité excessive. La vérité est que ce marché, qui repose sur la tarification au coût marginal, permet de gérer avec efficacité la distribution à très court terme de l’électricité sur le réseau. Mais il ne donne pas aux acteurs ,économiques, vendeurs ou acheteurs, de signaux permettant de faire les bons choix à moyen ou long terme. Il faut donc réformer ce marché. De quelle façon ? Trois voies me semblent possibles :
• revenir à la situation antérieure, avec la cohabitation de monopoles publics nationaux qui produisent et distribuent l’électricité et s’organisent pour gérer au mieux les interconnexions. Ce n’est de mon point de vue ni souhaitable, ni efficace ;
• la solution de type « rustine », à l’instar de ce que font l’Espagne et le Portugal, en
introduisant un prix plancher et un prix plafond pour l’énergie. Tant que le marché reste dans la fourchette, on ne fait rien. En cas de crise, on bloque. Une rustine permet de continuer son chemin en cas de crevaison. C’est extrêmement utile. Mais en cas de crevaisons à répétition, il faut peut-être envisager des réparations plus durables ;
• c’est la voie de la troisième solution, consistant à réformer le marché électrique pour qu’il fonctionne demain sur la base d’une tarification au coût de production moyen plutôt qu’au seul coût marginal. Il faut dès lors intégrer les coûts variables, les coûts d’investissement et les coûts du capital. Cette dernière solution est à mon avis la meilleure, même si elle est techniquement la plus compliquée à mettre en œuvre.
Pour conclure, j’ajouterai que la crise énergétique a des effets contrastés sur la transition bas-carbone. En impulsant les économies d’énergie et en dopant les énergies renouvelables, elle est un facteur d’accélération. Mais simultanément elle mobilise beaucoup de capitaux vers des investissements supplémentaires pour développer de nouvelles filières d’approvisionnement en gaz d’origine fossile, voire en charbon.